Counter (Culture) Strike

mardi 14 août 2007

Fete Nationale (premiere partie)

¨¨¨L'aube venait de poindre au dessus des chaumières. La place Robbe-Grillet était déserte, les commercants se préparant à fournir les ressources à cette célébration se reposant encore. Le vieil Auguste, lui, comme toujours, avait passé la nuit sur le banc le plus au sud de la place, immobile, précédé tout contre lui au nord, d'Ernest, son chien d'aveugle Labrador-Dobberman lui aussi vieux et décrépi. ¨¨¨ Le boulanger, le premier, traverse la place pour donner a l'échoppe centrale la livraison convenue de pain. Maneuvrant les deux brouettes remplies de baguettes, il trouva malgré tout la force et eut l'esprit de faire un ample signe de main en direction de l'aveugle. Il traversa la place. L'aveugle, au loin, sur son banc, soupire. Le son des brouettes est pour lui un chant, qui vient troubler la régularité des intervalles séparant les coups de cloche, dont le nombre croissant au fil des heures, se ferait bientot insupportable pour quiconque était encore endormi. Le vieil Auguste, qui avait entendu les brouettes s'entrechoquant, avait reconnu un signe d'Alphonse, le boulanger, et en sifflant il fit se lever Ernest, qui au pas de course rejoint les brouettes, saute légèrement et croque une baguette, qu'il ramène à son maître. ¨¨¨ Alors qu'Auguste attendait, il polissait les verres noirs des lunettes qu'il utilisait pour priver ses concitoyens de la perspective de sa monstrueuse cessité. Il avait pour ce faire retiré les lunettes, et, mis a part Ernest qui ne les voyait guère, personne, pas même Alphonse, ne pouvait contempler les protubérances occulaires putréfiées, brillantes et mortes à tout instant. ¨¨¨Trois heures plus tard, Auguste finissait la baguette, qu'il avait pu aggrémenter de tomates pourries ainsi que de peaux cramoisies de mauvaises poules de basse cour. Le désormais hargneux Ernest n'avait pas été en reste des os des bestioles sacrifiées à l'aurée de la célébration Nationale. ¨¨¨Les premières orgies ont commencé à neuvieme heure, c'est à dire au moment où les coups de cloches allaient, par mesure punitive envers les rêveurs fautifs, se multiplier par leur propre nombre, toutes les soixante minutes. La tribune, au centre de la place, mettait en relief par un absurde jeu de miroirs en plein jour les facéties des participants. Chacun d'entre eux était moussu aux lèvres, comme le sont toujours les humains lorsqu'ils déclenchent leur propre transe. Leurs actions, justement considérées par eux comme des devoirs religieux envers la Nation, suivaient un déroulement identique chaque Solstice. Il s'agissait de scènes orgiaques mythiques, conservées dans un grimoire malpropre et sénile. ¨¨¨L'interprétation des scènes donnait lieu à d'éternelles contreverses, et les interprètes eux-mêmes n'avaient jamais deux fois le même rôle en vingt ans- du moins telle était la règle. Pour l'avoir défiée, Auguste se vit puni de cessité par ses compatriotes quatre-vingt solstices plus tôt. ¨¨¨Au point où il en était, il avait au bout d'une trentaine d'années oblatéré ses attributs uro-génitaux de sa propre main, en signe d'opposition au régime; c'est du moins ce qu'il prétendait, et c'est ainsi qu'il se proposait pour quiconque eut osé lui adresser la parole durant ses periodes de sortie. ¨¨¨Du domicile dévasté par le temps qui lui servait en majorité de fumoir, son chien était libre d'aller et venir, puisqu'Auguste ne se mouvait que peu. Au moindre sifflement, il accourait néanmoins, à quelque distance qu'il se fut trouvé. Puis, durant des mois, Auguste restait assis sur le banc, en place publique, s'exposait. Il avait choisi de ne se mouvoir que deux fois l'an: il sortait de chez lui la veille du solstice d'été, et rentrait le soir succédant le solstice d'hiver. ¨¨¨Figure emblématique de la Fete Nationale dans le village de Charmonçon, on ne pouvait l'imaginer sans lui. ¨¨¨Les nuages passaient de plus en plus vite au dehors du salon de la demeure du Maire de Charmonçon, lorsqu'il s'approcha de la fenêtre pour l'ouvrir, et parler pour la première fois de la journée au peuple réuni sur la place. ''Phallus! Comment va?'' dit le maraicher au Maire, qui le premier l'avait remarqué. ''Ca va ca vient; Phallus à toi, mon frère! du nouveau, toi?'' le maraicher s'apprêtait à répondre lorsque la foule se mit à déverser un ouragan de ''Phallus'' qui censura par l'excès toute information sonore dès qu'il fut entrainé. ¨¨¨Détestant crier, le Maire brisa une des vitres de sa fenètre avec son poing, et fit ainsi retentir dans toute la place l'écho du bris de glace, aussi clair qu'il l'aurait été au petit matin blème; c'était la procédure. Le Maire, content, attendit quelque temps avant de commencer le discours officiel d'ouverture de la Fete Nationale du solstice d'été de l'année post-christique 2543. ''De Grace, mes chers compatriotes'', dit-il.

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